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Eusébie et le corps de Saint-Quentin

 

                                    Il est difficile de préciser le nombre des églises qui précédèrent la Collégiale-Basilique... Sans doute créé à Vermand au IVe siècle, un siège épiscopal fut transporté sur le tombeau du martyr, soit vers 365, soit après la destruction des Vandales au Ve siècle. La preuve en serait l'existence, à côté de la première église de Saint-Quentin, devenue Cathédrale, d'une autre église dédiée à Notre-Dame "la Bonne" ou "de Labon"

l'usage des cathédrales jumelles étant déjà établi, au moins en Italie du Nord, dès le Bas-Empire. Toujours est-il que Saint-Médard transféra l'évêché à Noyon au VIe siècle, pour des raisons controversées. Oublia-t-on entre temps l'emplacement du tombeau primitif ? C'est le célèbre Saint-Éloi, évêque de Noyon, qui redécouvrit vers 651, de façon quasi-illuminatoire (fête de "l'Allumerie" commémorant "l'Invention" du prélat-orfèvre) le corps du martyr. Les fouilles archéologiques conduites en 1864, puis reprises en 1926 et 1955 (la crypte ayant été éventrée par une explosion pendant la première guerre mondiale) attestent, ainsi que l'a consigné Ernest Will, l'existence d'un premier niveau mérovingien de construction, datable du VIIe siècle : l'église que connut saint Éloi; celle où furent donc installées les reliques retrouvées, dans une châsse d'ofèvrerie.

                                    Une communauté de moines s'organisait pour le service des reliques; à une date sans doute plus tardive, un hôpital pour les pèlerins "enflés", des maisons d'artisans agrandissaient progressivement ce nouveau noyau urbain, administré par un "comte-abbé".

                                    Le IXe siècle fut particulièrement riche en événements : reconstruction d'une église plus vaste, grâce aux dons de Charlemagne, par le comte-abbé Fulrad, son parent, entre 813 et 826 ; triple pillage normand ; nouvelle reconstruction du Vicus entouré cette fois d'une enceinte de gré, entre 886 et 893.

                                   L'édifice carolingien, deuxième niveau des fouilles, possédait une puissante abside en hémicycle, large d'environ dix mètres, et un pavement de mosaïque à décor géométrique noir et blanc montrant des traces d'une restauration, peut-être consécutive à l'incendie normand de 883. Un texte nous dit par ailleurs qu'elle possédait une tour dont les murs intérieurs portaient trois inscriptions de Théodulfe, le poète-philosophe conseiller de Charlemagne, évêque d'Orléans et abbé de St-Benoît-sur-Loire, dont il reste, de la splendide villa, l'oratoire de Germigny-des-Prés.

                                  Dans la crypte de cette église, construite presque aussitôt, on déposa en 835 les restes de Saint-Quentin, extraits de la châsse de saint Éloi, dans le fût de colonne antique en marbre blanc, scié et évidé, encore visible dans la crypte actuelle ; puis on leur adjoignit les corps de deux autres martyrs, Cassien (845) et Victorice (893)... La crypte a été depuis totalement refaite, mais sensiblement au lieu et sur la structure de l'ancienne. Son dessin primitif, sur un couloir nord-sud, trois alvéoles orientées vers l'ouest, se retrouve dans la crypte de l'abbatiale de Saint-Médard de Soissons.

                                 A partir du Xe siècle, l'extension du bourg médiéval allait absorber rapidement les restes et l'emplacement de la ville "que selon une antique désignation on nomme Auguste" et lui donner son nom. De la ville gallo-romaine il n'a subsisté qu'un nom de quartier, le détroit (district) d'Aouste, sans doute jusqu'à la Révolution, et un nom de rue : la rue de la Chaussée-Romaine. Les moines du Vicus, au Xe siècle, se sécularisaient en chanoines ou bien laissaient place à un chapitre de chanoines, pour installer dans les marais, à l'emplacement miraculeux où jaillit de la Somme le corps du martyr et où on baignait les hydropiques, une vaste abbaye : Saint-Quentin-en-Isle.

                                En ce qui concerne l'église de Saint-Quentin, le vieil édifice carolingien dut subir des restaurations, des remaniments, des agrandissements postérieurs même : lors d'une guerre féodale, il y eut un incendie à l'aube du XIIe siècle, puis on a la trace d'importantes collectes de fonds... Mais un mystère plane sur le XIIe siècle, car aucune trace archéologique ne confirme la construction d'un édifice roman, relai architectural pourtant prévisible.

                                L'église ancienne, romane hypothétique ou carolingienne remanié, fut détruite parallèlement aux progrès de la nouvelle construction, tandis que disparaissait aussi Notre-Dame-de-Labon, dépendant de l'évêché de Noyon et située sur l'emplacement du futur croisillon nord : la rue du Labon en conserve le souvenir.

 


Source André et Suzanne FIETTE (1972)

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La légende d'Eusébie