Le vieil homme achève son récit.

Eusébie comprend maintenant pourquoi les soldats exaspérés ont crevés les yeux de cet encombrant témoin.

Cette femme est à bout de forces,

jamais elle n'a vécu un moment si intense.

Quentin a subi tout cela...

Cette révélation est intolérable.

L'aveugle ne sait que faire face à cette dame romaine.

Il se décide subitement à l'emmener sur l'île entourée de marais.

Octavie et les esclaves d'Eusébie se joignent à eux.

Pas à pas, le vieil homme retrouve le chemin.

Il l'a tant de fois parcouru en pensée

que chaque détail reste gravé dans sa mémoire.

Le ciel est lourd,

une légère brise dissémine les nuages,

la lumière est intense,

comme si cette journée était marquée d'un signe...

Les esclaves cherchent çà et là le corps ou la tête de Quentin

et explorent ce lieu de marécage.

Les tourbières les auraient-elles conservés depuis tout ce temps?

Cela semble tellement étrange.

Des rayons de soleil éclaboussent le visage d'Eusébie

 qui se penche lentement, sûre de son geste.

Tout son être se tend dans cette direction.

Elle a la conviction d'avoir trouvé l'endroit précis :

entre les sphaignes, un bouillonnement trouble l'eau jusque là

sans le moindre frémissement.

Le corps de Quentin commence à apparaître, là devant elle;

un peu plus loin la tête remonte à la surface.

Une clarté vive illumine leurs deux visages :

celui de la femme, rayonnant de calme,

et celui de l'homme martyrisé, immobile,

comme s'il émanait d'eux une paix intérieure...

Eusébie pose enfin la main sur la tête de Quentin.

A cet instant elle recouvre la vue.